- Ski nautique derrière un 3 mâts au milieu de l'Atlantique :

Aujourd'hui, comme toutes les conditions sont réunies, nous en profitons pour faire les fous après la baignade. Derrière un voilier de trois mâts, de trente mètres et de deux cents tonnes, certes aidé par ses deux énormes moteurs poussés à fond, c'est à partir du zodiac qu'il faut s'élancer pour faire du ski nautique en plein milieu de l'Atlantique. Voilà un évènement, qui se passe de commentaires et, qui aura eu le mérite d'exister au bon moment car, le temps change.

- Une belle journée au milieu de l'atlantique :

Nous sommes presque à mi-parcours. Un vent faible nous pousse lentement sur une longue houle de petite amplitude. L'étrave ride la surface de l'eau qui ondoie en réfléchissant le soleil par plaques violentes. La beauté du spectacle force mon admiration et enclenche ce curieux processus de contemplation qui m'oblige à rester là, heureux de laisser mes yeux absorber ces images. Après de longues heures, j'aimerais pouvoir détourner le regard mais cela m'est impossible. A chaque fois que je le tente, je sens sourdre en moi une puissance qui m'oblige à mobiliser ma vision à la vigilance. En ne pensant à rien, la nature me contraint-elle à ne penser rien qu'à elle ?

Ne suis-je qu'un mammifère

sous l'emprise d'une nature exhibitionniste ?

- Le bruit de l'Atlantique empêche les poissons de dormir :

La Fédération des Marins de Gironde & Gascogne a missionné son plus célèbre chercheur pour alimenter la connaissance scientifique sur LA QUESTION : - À partir de quelle hauteur de houle, le bruit de la mer empêche-t-il les poissons de dormir ? Durant sa traversée de l'Atlantique, ses observations l'ont conduit à constater que : Les poissons mordent sur tribord. En conclusion, il affirme que l'orientation cardinale de la houle, par son bruit itératif, génère chez le poisson pélagique un taux de surdité à gauche car : il se laisse berner par les leurres venant de droite. Une dorade coryphène au bout de la ligne conduit à de rapides manœuvres de ralentissement. S'assurer de remonter les trois cents mètres de cordeau sans que l'amélioration de l'ordinaire ne se décroche occupe tout l'équipage. Le poisson est maintenant là. Il s'est bien battu, c'est sûr, mais la satisfaction est grande lorsque son long corps épuisé traîne derrière le leurre. Il est maintenant la cible du harponneur, débordant son bras meurtrier du navire. Il tire. Le sang jailli. L'équipage hurle d'une seule voix. La bête est sur le pont. Le cuisinier plante son couteau, l'animal est mort. Quelques minutes plus tard... le voilà en darnes. Ce soir, ses dix kilos de chair nous régaleront.

Pour l'instant, nous le dégustons cru, à même les lames de nos couteaux.

- Les Açores approchent et le temps se brouille :

Voilà trois jours, peut-être cinq, qu'il n'y a plus de soleil, que la mer est forte, que la houle est puissante, que la brune a blanchi, que la lune a noirci, que l'horizon a trépassé, que les étoiles ont disparu et que tout est suspendu au souffle du vent qui beugle. Tous les comportements en sont diversement mais rudement affectés car, derrière les visages clos, chacun se protège en blottissant ses pensées vers l'intérieur. Durant les repas muets, ni les couverts qui tombent, ni les verres qui se brisent, ni les plats qui se renversent ne couvrent le souffle du vent qui déborde de partout. De son haleine humide il empèse les vêtements, faisant de nos gestes lents l'expression d'une lassitude générale qui tend vers l'épuisement. Cependant, hier soir, les langues se sont dénouées. Tous nous n'avons parlé que de la juste appréciation de l'estimation, de la marge d'incertitude, de la qualité du résultat. Ce matin, dés potron-minet, les meilleures places du pont sont prises. La préférée du moment, sur bâbord à l'extrémité du bout dehors, est acquise à la première levée. Elle s'y agrippe... Elle sera sûrement... Elle est celle qui... Oui mais la brume absorbe et... Et maintenant, théoriquement, nous ne serions qu'à trois milles et... c'est toujours le silence absolu. Jusqu'à ce que, un souffle d'air, une ondulation de l'eau et les chuchotements qui bruissent deviennent voix, puis paroles et, par surprise, jeté comme un boulet le mot explose : « là ». Dans la brume épaisse, comme un lavis d'aquarelle qui se teinte, un camaïeu de gris blafards esquisse de vagues nuances. Puis, la nébulosité s'affine et des traits se dessinent. Ensuite, lentement, une forme naît, se colore de nuances familières au souvenir qui sont maintenant la certitude d'une référence connue.

C'est la Terre.

C'est Flores, l'île de l'archipel des Açores la plus à l'ouest.