et déjà nous arrivons aux Açores.

Voilà trois jours, peut-être cinq, qu’il n’y a plus de soleil, que la mer est forte, que la houle est puissante, que la brune a blanchi, que la lune a noirci, que l’horizon a trépassé, que les étoiles ont disparu et que tout est suspendu au souffle du vent qui beugle.

Tous les comportements en sont diversement mais rudement affectés car, derrière les visages clos, chacun se protège en blottissant ses pensées vers l’intérieur. Durant les repas muets, ni les couverts qui tombent, ni les verres qui brisent, ni les plats qui versent ne couvrent le souffle du vent qui déborde de partout. De son haleine humide il empèse les vêtements, faisant de nos gestes lents l’expression d’une lassitude générale qui tend vers l’épuisement.

Cependant, hier soir, les langues se sont dénouées. Tous nous n'avons parlé que de la juste appréciation de l’estimation, de la marge d’incertitude, de la qualité du résultat.

Ce matin, dés potron-minet, les meilleures places du pont sont prises. La préférée du moment, sur bâbord à l’extrémité du bout dehors, est acquise à la première levée. Elle s’y agrippe... Elle sera sûrement... Elle est celle qui... Oui mais la brume absorbe et… Et maintenant, théoriquement, nous ne

serions qu’à trois milles et… c’est toujours le silence absolu. Jusqu’à ce que, un souffle d’air, une ondulation de l’eau et les chuchotements qui bruissent deviennent voix, puis paroles et, par surprise, jeté comme un boulet le mot explose : « là ».

Dans la brume épaisse, comme un lavis d’aquarelle qui se teinte, un camaïeu de gris blafards esquisse de vagues nuances. Puis, la nébulosité s’affine et des traits se dessinent. Ensuite, lentement, une forme naît, se

colore de nuances familières au souvenir qui sont maintenant la certitude d’une référence connue.

C’est la Terre.

C’est Flores, l’île de l’archipel des Açores la plus à l’ouest.

Le temps d’affaler les voiles et nous voici arrivés. Un gars de la Police Maritime nous attend sur le môle pour formaliser le passage des aussières sur le sol Euro-Portugais et, d’un seul pas sur le béton du quai, chacun teste, après dix huit jours de navigation hauturière, sa résistance au mal de terre. Trois pas plus loin, je rencontre un bordelais de mes connaissances.